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Depuis septembre 2020, l'équipe de l'Harmonie Communale chronique le travail mené par la compagnie dans des lettres.

Lettre N°

2

NOVEMBRE 2023​​ - Une équipe, un nouveau

Cher·e·s ami·e·s

Voici la deuxième newsletter écrite par l'Harmonie Communale.

 

21 juin, 10h44, Collège Louis Jouvet, salle 004. Le projet sur lequel on travaille s’écrit au fil d’une longue résidence d’enquête : trois mois passés entre Louis Jouvet et Condorcet, un lycée de Saint-Priest. De septembre à décembre, c’est la création du spectacle au TNP, ponctuée d’ateliers menés avec les classes qui seront avec nous, chaque soir, sur scène. Le 9 janvier, ce sera la première au TNP. Aujourd’hui, on est à la veille d’une présentation de notre travail aux équipes et aux élèves. La salle est grande, chaude, la plupart des néons fonctionnent. 



 

- Et après c’est toi qui prendrais la réplique de Samir, et du coup ça fait une narration qui peut être tournante, volatile.

- Oui, la narration, c’est juste le prétexte à raconter l’histoire. Mais c’est quand même quelqu’un qui raconte quelque chose à quelque d’autre.

- Ça peut être Malo qui commence à raconter un truc à un prof stagiaire ?

- Moi je trouve que Malo, son retour, il n’est pas évident. Ça m’a perdu. Toi, tu es restée très centrale. Et je n’ai pas compris qu’on passait au présent.

- Pour moi, on est presque en citation, on surgit…

- Et cette réplique, ça ne pourrait pas être envoyé en adresse à la narration ? Comme ça on repasse au présent. Malo, il connaît Mathieu.

- Oui mais Malo, avec Mathieu, c’est comme une relation de prof stagiaire.

- Oui mais ça enlève une couche.

- Une couche de quoi ?

- De narration. Ça enlève un étage.

- Mais c’est un étage qui n’est pas construit.

- Et si cette scène se joue dans une bande de lumière ? Ça c’est le passé, ça c’est le présent.

- Ce qui ne résout pas les deux questions : dans quel espace-temps est l’interaction entre Malo et toi ? Encore du passé, mais un autre passé. Et puis, quel est le statut de la narration ?

- En fait, c’est quoi le présent ?

- Le présent c’est : ça, c’était Mathieu, et moi je vous raconte dans quel bordel on se trouve.



 

Pouf, c’est dense, c’est épais ce qui se passe ici. Tout le monde parle, mais tout le monde s’écoute. On est au collège Louis Jouvet, fin juin, dans une salle d’espagnol vide un mercredi matin. Il fait bon, il y a peu d’élèves, on a de l’espace pour travailler et pour penser. C’est rassurant, je trouve, de se balader dans un collège vide. C’est tellement vite étouffant, plein à craquer de cris et de coups, de bousculades. Dès qu’il y a de la place on le sent, on respire. Dans les collèges, je me confonds pas avec les élèves, mais ça peut encore m’arriver dans les lycées. Je suis jeune - pas jeune type 16 ans, plutôt jeune type millenial, mais aussi jeune type juvénile. Être jeune dans le théâtre, c’est plus qu’un âge, c’est une posture.



 

- Attend, j’ai pas compris. C’est pas elle qui fait la narration ?

- Euh, tu fais quoi d’autre ?

- Un AED.

- Pour clarifier les choses, il n’y a pas de rôle de narrateurice arrêté, chaque rôle va prendre en charge des parties de narration. Donc tu vas t’avancer, et toi tu débarques, et c’est encore un personnage qui vient de vivre un truc qui passe par la fonction de narration. Il faut pas imaginer que c’est une instance de narration.

- Donc potentiellement en narration et en action dans la même scène.



 

C’est comme si t’avais pas le choix de rester à ta place. C’est la vie professionnelle qui commence, le grand bain de l’emploi, on t’a seriné que les places étaient chères et les débouchés rares (« surtout dans le théâtre »), alors faut pas laisser filer les occasions : tu te places au bon endroit, au bon moment, et tu mets le pied dans la porte. Gérard Lanvin, il a commencé homme à tout faire. Je veux pas devenir Gérard Lanvin (qui a un air triste), mais je veux bien commencer homme à tout faire. Mais en même temps, attention, il faut saisir l’opportunité sans avoir l’air opportuniste (difficile !). Homme à tout faire discret. C’est comme ça que je me glisse dans l’équipe de l’Harmonie Communale, en restant dans un coin, en déplaçant des chaises s’il faut déplacer des chaises, en prenant des notes autant pour moi que pour l’équipe. Tu te fais ta place, mais tu te fais une petite place. Par contre, si on te propose une place qui te plaît un peu plus, tu prends trois respirations et tu acceptes. Si on te dit, Mathieu, tu écrirais la newsletter de novembre, tu prends trois respirations, et tu acceptes.



 

- Donc, il ne voit pas le problème ! J’essaye de poser des limites et tout le monde s’en fout.

- Wesh ma gueule fils de pute !

- Attendez, ils sont prévenus dans le couloir ?

- A quelqu’un.e dans le couloir. C’est pas des vraies insultes, c’est le théâtre.

- J’essaye de poser des limites et tout le monde s’en fout, je passe pour une vieille conne.

- Tu vois, le problème c’est que tu vois pas ce qu’on fait.

- Attend, j’ai perdu ma ligne. Ok, ok, c’est de ma faute, j’ai pas tenu mon équipe.



 

Il y a des endroits, dans le théâtre, où tu arrives, et tu te fais marcher sur la gueule, et tu penses que c’est comme ça que ça fonctionne, qu’il faut marcher sur la gueule de quelqu’un.e pour monter d’un échelon. Il y a le patron, tu le repères, tu le dragues ou tu te laisses draguer, ça sent pas bon mais ça marche comme ça. Le patron est gentil, ou pas forcément, c’est à son bon vouloir : c’est lui qui commande. Il fait des blagues qui le font rire, il faudra rire, même si c’est des blagues sur ta famille. Je me suis dit, tant pis, je sais encaisser, c’est comme ça le théâtre, tu te prépares au pire quand tu viens pas de là, à la galère, à la dèche, tant pis, t’as choisi. Ce qui a été chouette à l’Harmonie Communale, c’est que ça s’est pas passé comme ça.



 

- J’ai l’impression qu’il faut faire plus d’apparition disparition. Par exemple, à quel moment Malo s’installe.

- Là on s’est dit qu’on essayait une chose très formelle, c’est la voix des autres qui agit mon corps, et je peux m’avancer parfois.

- Oui, c’est assez juste. Au fond, c’est comme s’il était en train de t’écouter raconter, et il a envie de nuancer ce qu’on est en train de dire sur son pote.

- Oui mais je dis t’en fais pas, Mathieu, il est plus là, mais en fait sur scène il est encore là

- Je me suis demandé à quel point il pouvait y avoir encore plus d’interactions avec le public.

- On est en train de défendre son bout de gras.

- Ca devient baroque, ça marcherait.

- Juste le code, c’est que tout le monde entend la narration.

- La narration elle est complètement partagée ?

- Je sais pas, y a pas exactement de règles.



 

Je ne me sens redevable à personne dans cette compagnie. Je veux dire, évidemment, bien sûr que si, j’ai une gratitude énorme pour Marie, qui était à mon poste avant de le quitter pour un autre, et Pauline, la productrice, qui m’ont appelé pour me demander si j’étais tenté de rejoindre l’équipe. On avait pris un verre une fois ensemble, je crois que j’avais fait mouche en leur racontant comment je m’en sortais dans des situations de boulot que j’arrivais pas à gérer.



 

- Juste, tu lâches une caisse. En réunion, à la machine à café, si t’es trop mal à l’aise et que t’as envie d’aller pleurer dans les toilettes, tu te concentres, c’est un peu comme de la sophrologie express tu vois, ça distrait l’attention de la personne en face. Et puis c’est peut-être humiliant, mais c’est humiliant pour tout le monde. Genre, tu troques ton angoisse solitaire contre une angoisse collective. Dans le théâtre, les gens savent réagir à tout, ils sont blindés niveau intelligence sociale, ils ont une espèce d’élégance cool à toute épreuve. Je te jure, y a que ça qui marche.



 

Le patron ici, il fait pas peur. Je veux dire, François Hien il est malin, c’est un rapide qui pense toujours avec une longueur d’avance, mais il se déplace en vélo. Un patron qui arrive en vélo, qui a besoin de reprendre son souffle, qui s’est pris la pluie en pleine face, ça a vraiment rien à voir avec un patron-taxi.



 

- Sinon, ça fait une intervention de Malo de même nature que celle de Mathieu. Mathieu il est intervenu assez fort, donc il faut que tu passes un peu par en-dessous.

- D’accord. Ca, c’était Mathieu. Il était le premier à râler quand il avait l’impression que l’autorité n’était pas tenue dans le lycée, mais là, il voulait pas passer du côté des patrons.

- Attend, je comprends pas le pluriel. Les recrutements ? Le recrutement ?



 

Et puis on se parle, on s’écoute, on échange beaucoup, sur le fond des projets comme sur la manière de les mener. Je crois que c’est ça, mon travail, en grande partie. Prendre le temps de parler avec tout le monde, prendre la température du groupe, faire le lien entre l’équipe administrative (dont les bureaux sont au théâtre de l’Elysée), les théâtres qui nous accueillent et l’équipe artistique en résidence, comme ici, au collège Louis Jouvet. Être au courant de ce qui se passe.



 

- J’ai faim. Vous avez pas faim vous ?

- On refait la scène ?

- On lit la scène ?

- Orf, on fait la pause non ?



 

Avec les élèves et les profs, surtout. En ce moment, on crée un spectacle sur l’Education Nationale, qui s’appelle Education Nationale (qu’on se le dise !), dans lequel on embarquera chaque soir une classe de lycéen.nes à nos côtés. A raison d’une classe pour deux représentations, cela fait une dizaine pour cette saison. Dix classes, quelques 250 élèves à rencontrer, connaître, découvrir, écouter, 250 jeunes dont il faudra se préoccuper en veillant à ce que chacun.e ait sa place. Des élèves qu’il ne faudra jamais standardiser, avec lesquel.les il ne faudra jamais se précipiter, sous peine de les faire entrer au forceps dans des rôles qui ne seraient pas les leurs. Il y a dix interprètes au plateau, tout ça prend un temps monstre. Mon boulot c’est ça : faire des plannings et être sympa. C’est pas facile de savoir si le boulot est bien fait. Un indicateur, c’est quand un jeune vient te remercier alors que tu n’as rien fait pour lui en particulier. Ça veut dire que ça s’est bien passé pour lui, et qu’il a identifié que c’était à toi qu’il pouvait le dire, que tu avais la disponibilité pour ça. Ou c’est juste ma tête de lycéen.


  
* * *


La semaine prochaine, vous pourrez nous voir au Théâtre du Parc à Andrézieux (en hors-les-murs) avec La Crèche : mécanique d'un conflit et au Quai des arts de Rumilly avec Olivier Masson doit-il mourir ?

Olivier Masson continuera sa route avec une tournée jusqu'à début décembre en région (Scène nationale de Bourg-en-BresseThéâtre Municipal de Grenoble...) et au-delà. 

Enfin, nous organisons le 11 décembre à partir de 19h30 au théâtre de l'Elysée une soirée de lancement de la pièce Le Chat écrit par François Hien sur une commande de Yann Lheureux suivi d'un texte exclusif de l'auteur,  La Première pierre (Editions Libel). A cette occasion il sera également possible de précommander Education Nationale. 

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