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Depuis septembre 2020, l'équipe de l'Harmonie Communale chronique le travail mené par la compagnie dans des lettres.

Lettre N°

29 - 1

OCTOBRE 2023​​ - Bon, nouvelle formule ?

Cher·e·s ami·e·s

Voici la vingt-neuvième / première newsletter écrite par l'Harmonie Communale.

 

La scène (mélange d'imagination et de reconstitution) se déroule au théâtre de l’Élysée, où la compagnie l'Harmonie Communale a ses bureaux.

Sont présents : Nicolas (administrateur), Pauline (chargée de production), Mathieu (coordinateur de projet), Sabine (dramaturge, comédienne), Sigolène (costumière, scénographe, metteuse en scène), et François (auteur et metteur en scène). Benoît (directeur technique de la compagnie et créateur lumière) n'était pas là ce jour-là, ce qui est bien dommage.

On a parlé d’Éducation Nationale, le prochain projet de la compagnie, qui sortira en janvier au TNP. Il y a beaucoup de choses à penser, à se dire. La rentrée promet d'être dense. C'est la première grande réunion depuis le retour de vacances. On est au tout début du mois de septembre 2023, on est contents de se retrouver, mais les choses sérieuses ont commencé.

Et sur la fin de la réunion, Pauline lance un sujet dont il a été convenu avec François qu'il serait abordé.


 

PAULINE

On voulait vous parler d'un truc. Vous l'avez remarqué je pense : ça fait un moment qu'on n'a pas sorti de newsletter. Depuis avril dernier.


 

SABINE

Oui. Comment ça se fait ?


 

FRANÇOIS

Ben il se trouve que j'en avais écrit une, en juin. Et jamais envoyée.


 

MATHIEU

Pourquoi ?


 

FRANÇOIS

Je pense qu'elle en disait trop. Ou pas assez. Enfin, j'avais pas trouvé le bon ton, quoi. Elle s'appelait « Dernière lettre ». Elle se présentait comme la dernière.


 

SIGOLÈNE

Ah oui, tu veux arrêter les newsletter ?

 

 

FRANÇOIS

Pas vraiment. En fait, ce qu'on s'est dit, avec Nicolas, c'est qu'on était sur une formule qui trouvait ses limites.


 

PAULINE

C'est surtout qu'à mon avis, il y avait un problème de positionnement. On se présente comme une compagnie au fonctionnement plutôt collégial, on s'efforce de partager le pouvoir, mais aussi la reconnaissance que les spectacles génèrent, et ces newsletters très subjectives, écrites par François seul, replaçaient toute l'attention autour de sa personne.


 

SABINE

Moi je les trouve intéressantes tes lettres, François, mais c'est vrai que je me suis parfois demandé : pourquoi est-ce qu'il ne les écrit pas en son nom seul ? Pourquoi est-ce que ce sont les newsletters de la compagnie ?


 

NICOLAS

D'autant que tes camarades n'ont pas toujours la même appréciation des événements que tu décris et qu'ils ont vécus avec toi. Moi on me l'a déjà dit une fois ou deux : tiens, François, il a raconté telle ou telle chose dans sa lettre, mais de mon point de vue ce n'est pas tout à fait comme ça que ça s'est passé.


 

FRANÇOIS

Oui, je sais, il m'est arrivé de faire des correctifs d'ailleurs.


 

SIGOLÈNE

Mais est-ce que c'est si grave ? Tu ne révèles rien d'intime, tu as bien le droit de dresser ton récit des aventures professionnelles qu'on traverse.


 

NICOLAS

Ce qui est gênant, c'est que ça semble être un récit émanant de la compagnie elle-même. Comme si tu étais celui à qui revenait le droit de dresser l'histoire officielle. Et puisque la compagnie est l'employeur légal des personnes qui travaillent sur nos projets, c'est comme si, en embauchant des salariés, nous leur demandions du même coup d'entériner le récit autorisé qu'émet la compagnie sur son propre travail, et dans lequel ils ne se reconnaissent pas forcément.


 

PAULINE

Oui, c'est vrai, mais même sans aller jusque là, moi je trouve dommage et réducteur qu'on n'entende que le discours de l'auteur-metteur en scène. Dommage que ce que la compagnie a à dire semble s'y résumer, alors même qu'on passe notre temps à mettre en avant le caractère collectif de notre travail.

Je me disais : tiens, certains mois, ça pourrait être intéressant d'entendre plutôt Sigolène parler de son métier ; d'autres mois, Benoît. Dans la compagnie, tout le monde s'efforce de pratiquer son activité en pensant ses modalités, en les réinventant en partie. Et il n'y a que ta recherche dont on dresse le récit.


 

MATHIEU

Toi, Sigo, ça t'intéresserait qu'on raconte comment, par exemple, tu t'efforces d'être une costumière qui n'a jamais recours au neuf, qui pense l'empreinte écologique et éthique des constructions et des costumes que tu conçois ?


 

SIGOLÈNE

Pourquoi pas. Mais bon, je ne suis pas la seule à faire ça. Et puis, qui ça va intéresser ?


 

FRANÇOIS

Ben tu sais, avant d'écrire sur mes interrogations d'auteur, je ne me demandais pas qui ça intéresserait. Je le faisais, et il se trouve que ça intéressait pas mal de gens.


 

NICOLAS

Oui. Trois personnes dont ta mère.


 

FRANÇOIS

C'est pas vrai, j'ai énormément de retours sur les newsletters.


 

NICOLAS

Par ta mère, oui.


 

Ici, il est nécessaire de préciser que ce chambrage est courant entre Nicolas et François. Nicolas vanne François sur le fait que personne ne lit ses interminables lettres, à part sa mère (qui, c'est vrai, les commente en utilisant généralement l'adresse collective de la compagnie) ; François réagit en évoquant tous les gens qui lui écrivent (des dizaines, prétend-il) et tous les gens qui lui en parlent (des dizaines aussi, et pas les mêmes !, affirme-t-il). 


 

MATHIEU

Quoi qu'il en soit, c'est souvent intéressant d'entendre quelqu'un parler de son métier, dans le détail, avec le moins de romantisme possible.


 

SIGOLÈNE

Peut-être mais moi, écrire, je ne sais pas faire. Pourquoi je considérerais que ce que j'ai à dire mérite d'être raconté à d'autres ?


 

PAULINE

Comme il le dit, François s'est assez peu posé la question.


 

SABINE

Exactement, et c'est bien le problème. Par définition, ceux dont on entend les récits sont ceux qui sont capables de les formuler ; or rien ne garantit que ce soit les plus intéressants, ni les plus légitimes. On défend tous, je crois, un théâtre qui redistribue la parole, qui situe les opinions et les relativise, qui fasse entendre des récits dissonants. C'est par la fiction que nos pièces y parviennent : des fictions sans discours transcendant ; juste le choc des opinions concurrentes, l'immanence sidérante d'un monde sans arbitre, où l'on n'est pas soulagé du vertige par le réconfort d'une vérité absolue. Ce sont des fictions qui font un peu trembler le vrai – en tout cas, le légitime. Du moins, c'est ce que j'y vois.

Mais il me semble que ce principe, on le trahit en laissant s'installer, à propos de la compagnie, un discours dominant beaucoup plus univoque, porté par celui qui se trouve exercer la fonction prestigieuse d'auteur, et posséder les armes du langage. Tout à coup, c'est comme si on restaurait les légitimités factices qu'on s'était efforcé de congédier. Comme si l'on n'avait fait que semblant. Comme si ce qui valait pour les histoires qu'on raconte, pour le monde où elles se déploient, ne valait plus dans le vrai monde – le nôtre, le seul qu'on ait.


 

FRANÇOIS

Oui, je suis d'accord.

En tout cas, quand j'en ai parlé avec Nicolas, avant l'été, ça m'est apparu évident.

J'ai essayé que ces lettres soient les plus justes possibles. Les plus incertaines, si l'on veut. J'ai voulu qu'elles soient pleines de doute, non péremptoires. Mais ce que je n'avais pas mesuré, c'est que leur statut de « lettres de compagnie » semblait aller à l'encontre du projet de la compagnie – et même du théâtre qu'on défend – sur un plan éthique et politique. On essaie de redistribuer la parole, mais in fine c'est à moi qu'elle revient, toujours, car je sais la manier.


 

SIGOLÈNE

C'est pas forcément un défaut, de savoir manier la parole.


 

PAULINE

Personne ne dit ça.


 

SIGOLÈNE

Parfois, j'ai l'impression qu'on en fait grief à ceux qui ont le tort de parler trop bien, d'écrire trop beau. Oui, bien sûr, il faut se méfier des faux monnayeurs, de ceux qui tirent pouvoir de leur rapport au langage. Mais en l'occurrence, est-ce que c'est le cas ? Ça ne suffit pas de dire qu'il y a danger ; il faut savoir si l'on est tombé dedans. Moi je n'en suis pas sûre.

Je trouve que ce sont toujours les plus scrupuleux qui en viennent à se taire. Les vrais dominants, ceux qui écrasent le monde de leur parole autoritaire, ne se posent jamais ces questions. Je ne suis pas certaine qu'on ait intérêt à imposer le silence à une parole comme celle là, aussi partiale soit-elle sur notre travail.


 

MATHIEU

Mais qui parle d'imposer le silence ? On dit seulement que le discours – dans le cadre des newsletters de la compagnie – pourrait être plus collectif. Plus partagé.


 

FRANÇOIS

Oui, je crois que je ne le vis pas du tout comme une censure, ni une auto-censure. Juste, je me suis senti un peu bête, à pérorer en solitaire sur des événements à propos desquels je m'arrogeais toujours d'avance le dernier mot. C'est juste ça : partager le dernier mot.

Mais je serais heureux de continuer à en écrire certaines, de ces newsletters. Tout seul, entre deux lettres assumées par d'autres, comme l'expression d'une des sensibilités qui coexistent dans la compagnie ; ou avec certains d'entre vous, en co-écriture.

De toute façon, il y a une logique profonde à cette décision. Je pense qu'elle est très profondément raccord avec le théâtre que j'écris. Avec ce que mes pièces même ont à dire.

J'ai remarqué que beaucoup de mes pièces racontent une mise en échec et un dépassement de la parole du personnage principal. Le père Guérin dans La Peur, Francisca Guzman dans La Crèche, Louis Worms dans La Honte : des personnages dont la parole est déchue de sa souveraineté, qui se voient débordés par des subjectivités concurrentes. Et ce qui rend ces pièces sincères, je crois, ce qui fait qu'elles fonctionnent à peu près, c'est que c'est moi qui me suis laissé déborder, pendant le processus d'écriture. J'ai l'impression que c'est ça que je raconte comme auteur, et que je n'en finis pas d'avoir à dire : une parole qui raconte ses propres limites, son propre assèchement, sa nécessaire extinction.


 

MATHIEU

C'est un discours proprement paradoxal. Parce qu'au fond, est-ce que ce ne serait-ce pas plus simple de se taire ?


 

FRANÇOIS

Si, bien sûr.


 

SABINE

C'est comme si tu essayais de glisser toute une œuvre dans l'interstice entre la décision de te taire et le silence.


 

FRANÇOIS

C'est une parole en sursis. Une parole qui se présente comme en sursis. Oui, c'est ça. Notre théâtre n'a peut-être que ça à montrer, au final. C'est un théâtre que certains disent bavards – et ils ont raison, d'une certaine manière, mais ils ne voient pas que cette parole travaille à son propre dépassement, prophétise sa disparition, fait signe vers son au-delà.


 

PAULINE

Tu veux dire, comme tu fais là maintenant, en déclamant longuement les raisons qui vont te conduire à moins parler en nos noms ?


 

MATHIEU

Et en l'annonçant dans un dialogue imaginaire où tu nous as écrit des répliques qu'on n'a jamais dites ?


 

FRANÇOIS

Ouais, bon. Vous les aurez relues et validées, vos répliques, avant publication...


 

NICOLAS

Peut-être que, parfois, il ne faut pas seulement prophétiser l'assèchement de la parole, comme tu dis. Sinon, ça devient de l'imposture. Peut-être qu'il faut aussi le performer.


 

FRANÇOIS

D'accord. Tu as raison.


 

SABINE

Et donc ?


 

FRANÇOIS

Ben donc, voilà : j'arrête ces lettres.


 


 

Il y a un silence. On croit que le sujet est clos. 


 

FRANÇOIS

Attends, je voulais dire un dernier truc sur ces lettres, avant qu'on les referme.


 

PAULINE

Vas-y.


 

FRANÇOIS

Je voulais dire que je remercie Léa, de les avoir toutes relues depuis la deuxième année, et de m'avoir aidé à les rendre plus justes.


 

NICOLAS

Pour autant qu'elles l'aient été.


 

FRANÇOIS

Oui. Disons qu'elles l'auraient été moins sans elle.

Et puis merci à vous deux, aussi, Nico et Pauline, de les avoir corrigées et envoyées, alors même que, parfois, si je comprends bien, vous n'étiez pas super à l'aise avec leur contenu.


 

PAULINE

De rien.


 

...


 

FRANÇOIS

Attends, je voulais dire un autre truc.


 

NICOLAS

C'est le dernier ?


 

FRANÇOIS

Juste par acquis de conscience. Bien préciser que vous n'avez jamais dit ce que je vous fais dire, là.


 

PAULINE

Oui, je pense que les gens avaient compris.


 

FRANÇOIS

On sait jamais. Il est un peu pataud ce dialogue, je réussis mieux à faire parler des personnages de fiction, je me demande si c'est parce qu'avec vous je suis freiné par...


 

NICOLAS

(l'interrompant) François ?


 

FRANÇOIS

Oui.


 

NICOLAS

On la finit cette newsletter ?


 

FRANÇOIS

Oui, OK.


 

Il y a de nouveau un petit silence. On se prépare à lever le camp.


MATHIEU

Mais du coup, celle-ci, c'est la dernière de tes lettres solitaires ? Ou c'est la première de la nouvelle série ?


 

FRANÇOIS

Je ne sais pas. Dur à dire : je l'ai écrite seul, mais vous êtes déjà tout plein dedans.


 

PAULINE

Je propose que ce soit les deux.

C'est la lettre numéro 29 de la première série.

Et c'est la lettre numéro 1 de la série nouvelle.


 

NICOLAS

Et en général, les lettres, on les finit en donnant des infos de tournée, non ?


 

FRANÇOIS

Ah oui, merde, on allait zapper. Il y a quoi bientôt Pauline ?


 

PAULINE

Ben La Peur, le 14 octobre, au Beffroi de Montrouge.

Et puis la tournée d'Olivier Masson qui commence à l'automne. Plein de dates, faut aller voir sur le site.


 

FRANÇOIS

Et le 11 décembre, au théâtre de l'Elysée, à 19h30, une soirée pour la sortie du Chat, la pièce que j'ai écrite pour Yann Lheureux. La pièce est publiée en double volume, accompagnée d'un texte littéraire, La première pierre, dont je suis vraiment content. Voilà, le livre sort en novembre, et vous pouvez venir le découvrir ce soir là. Il y aura des lectures et des trucs chouettes, venez nombreux !


 

Les camarades se regardent un peu perplexes.


 

SIGOLÈNE

Tu parles à qui là François ?


 

FRANÇOIS

Euh... Je sais pas. L'habitude.

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